Le manager agile rend-t-il le management fragile? – 2° Partie

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Dans la première partie de cette série, je me suis attardé au fait qu’un manager agile efficace, dans un contexte inadéquat, pourrait avoir un impact négatif sur le reste du « management ». Je vous propose de m’atteler au sujet, au combien plus délicat, du manager agile inefficace (ou mauvais manager agile, ou encore manager agile trop inexpérimenté).

Posons les bases.

Image par Markus Distelrath de Pixabay 

Ne vous méprenez pas sur mon intention, je ne cherche pas la polémique, ni à faire un procès du manager non agile. Cependant, au cours de mes accompagnements, je rencontre régulièrement des situations qui me montrent qu’une més-interprétation, une mauvaise compréhension, ou tout simplement une ignorance des sujets autour du management agile et de l’agilité sont le plus souvent responsables de problèmes ou mal-être…

Je vais essayer de détailler mes observations…

Une autonomie ou un abandon?

Le manager agile accompagne une ou des équipes autonome(s). Souvent, ce terme est mal appréhendé. Il m’arrive régulièrement de mener des ateliers d’introduction à la démarche agile. Les participants sont souvent de tous horizons, mais lorsque j’ai la chance d’avoir parmi eux des managers, je me permets de faire un point important sur la définition d’autonomie.

L’autonomie n’est pas l’abandon. Trop souvent, les managers d’équipes agiles, considèrent que ces dernières devant être autonomes, elles n’ont pas besoin de lui. Pas besoin d’accompagnement. Pas besoin de direction… Pas besoin d’être managées…

Hors, c’est tout le contraire. Plus une équipe s’autonomise, plus elle a besoin de son manager. Mais pas de la même manière. Une équipe en prise d’autonomie devra surmonter des challenges, tant au niveau du fonctionnement avec les autres entités liées au projet (produit) qu’avec l’organisation en elle même. Leur manager se doit alors de les soutenir, de répondre aux sollicitations (de l’équipe ou du Scrum master), pour les aider à lever les freins…

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Il se doit aussi de les accompagner dans cette prise d’autonomie (nous en parlerons plus loin), et ca passe notamment par le fait de communiquer ouvertement avec l’organisation.

D’aucun me dirait: « Mais là, tu décris le Scrum Master!! »

Oui… et non en fait. Le Scrum Master est inhérent à Scrum, et même dans le meilleur des déploiements Scrum que j’ai pu voir mis en place, je n’ai jamais vu disparaitre totalement la notion de hiérarchie. Les équipes sont forcément liées à un manager, et je déconseille généralement d’avoir un Scrum Master également responsable hiérarchique des membres de l’équipe. J’ai en partie parlé de mon point de vue dans ce billet.

Pour en revenir sur le sujet de l’abandon: messieurs et mesdames les managers « agiles », ne confondez pas autonomie et abandon. La plupart du temps, lorsqu’on vous dit « attention au command and control« , ca ne veut pas dire: laissez les équipes faire ce qu’elles veulent, comme elles le veulent sans vous soucier du résultat!! Soyez présents, mais à bonne dose. Donnez des directions à suivre, laissez les avancer, et faites de temps à autre le point pour savoir en quoi elles peuvent avoir besoin de votre soutien, de vos conseils…

Délégation ou dé-responsabilisation managériale?

J’entends aussi souvent des managers me dire qu’entant que manager « agile » ils ont mis en place de la délégation au niveau de l’équipe. Dans ce cas, ils ont généralement compris la différence entre autonomie et abandon (quoi que), et sont passés à l’étape d’après.

Ils ont fait un « delegation poker » avec l’équipe, et ils sont tombés d’accord sur les niveaux qui s’appliquent à eux… Malheureusement, j’ai vu des situations dans lesquelles notre manager « agile » confond le delegation poker avec un RACI… Et donc considère que tout ce qui est de niveau 5 ou supérieur est de la responsabilité de l’équipe. S’ils se plantent, c’est de leur faute…

A titre d’exemple, j’ai récemment rencontré un manager agile qui avait un problème car, ayant donné les pleins pouvoirs à son équipe, celle-ci a refusée la prise en charge d’un sujet important pour un client. Le manager, ne voulant pas sortir de la posture de délégation absolue, a du alors trouver une solution alternative, faisant intervenir des personnes extérieures à l’équipe, pour un sujet impactant à 100% leur produit…

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Même dans le meilleur des mondes, lorsqu’une personne a le titre de manager, à la fin de la journée, il reste responsable de son équipe et de sa production… S’ils ne font pas ce qui est demandé ou ce qui est requis, s’ils se plantent, c’est sans doute en grande partie la faute du manager. Il ne leur aura pas donner les bons leviers pour prendre la bonne décision. Il ne leur aura pas fourni les informations nécessaires à une priorisation cohérente. Il ne leur aura pas demandé s’ils rencontrent des freins sur lesquels il pourrait avoir un impact…

Ne pas confondre la délégation dans la prise de décision et l’absence totale de contrôle et de responsabilité. A la fin de la journée, le manager reste un rouage important dans la réussite d’une équipe!

Le manque d’explication équivaut au manque de transparence?

Sans aller au niveau d’un problème dans la compréhension des nuances précédemment évoquées, il arrive aussi que le manager « agile » rencontre des soucis de communication. Comme tout manager vous me direz… Oui, sauf que dans le cas du manager agile, il y a un risque plus élevé que l’équipe lui en tienne rigueur. Je m’explique…

Il est assez facile de considérer normal, pour un manager non agile, de ne pas communiquer l’intégralité des informations qui sont à sa disposition, l’étendu des difficultés qu’il rencontre… Les équipes sont généralement moins tolérantes sur ces points quand il s’agit d’un manager dit agile.

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La plupart du temps, l’agilité d’un dispositif utilise les bases de Scrum, et donc la transparence. Dans tous les cas, une bonne communication est primordiale pour qu’une équipe puisse répondre au mieux aux besoins des utilisateurs et de l’organisation. Un manager agile faisant normalement partie des facilitants pour l’équipe, elle s’attend à ce que toutes les informations lui soient communiquées correctement, en temps réel… Et, on ne va pas se le cacher, la plupart des managers agiles étaient auparavant des managers tout court. Les mauvaises habitudes ayant la vie dure, il arrive alors que ces dernières reprennent le pas.

Je prendrais l’exemple d’une équipe agile que j’ai accompagnée dernièrement. Tous les membres de l’équipe stressaient car ils se rendaient compte qu’ils n’allaient pas pouvoir tenir la deadline initialement annoncée pour la sortie de la nouvelle version du logiciel.
Le PO, avait communiqué à l’équipe cette deadline, et lui aussi se rendait compte que ca allait être juste. Fort de cette information, le manager avait demandé au PO de calmer les troupes en disant qu’il s’occuperait du problème. Ce qu’il a fait assez rapidement en évoquant le sujet avec les parties prenantes, lesquelles étaient tombées d’accord sur le fait que le sujet pouvait être reporté quelques temps… Là dessus, le manager n’a rien fait… plus exactement, il a considéré que les parties prenantes communiqueraient l’information au PO qui communiquerait à l’équipe…
Pendant plus d’une semaine, l’équipe a continué à stresser sur le sujet, jusqu’à ce qu’un des coachs remontent le problème au manager pour se faire entendre dire : »Ce n’est plus un problème, la deadline n’existe plus… » Je vous laisse imaginer ce qui est alors passé dans la tête des membres de l’équipe… et la perte de confiance qui s’est déclarée envers le manager…

Je pourrais vous parler de nombreux autres exemples… et ce trait n’est pas inhérent au caractère agile du manager… sauf que dans notre cas, c’est un facteur aggravant.

Une équipe plus très agile: ou l’exclusivité de la première valeur…

Image par awsloley de Pixabay 

Si vous me côtoyez un temps soit peu, vous m’avez sans doute déjà entendu débattre de l’interprétation du manifeste agile et du fait qu’il est important de viser l’équilibre. Ne pas plonger tête baissée dans une des valeurs en mettant de coté les autres. Ne pas oublier la pertinence, du fait, par exemple, que les processus et les outils peuvent tout de même avoir du bon…

Dans le cadre de notre manager agile, il y a de grandes chances que ce dernier doive fonctionner au sein d’une organisation qui ne soit pas aussi agile que lui… et donc, il devra se conformer à certains processus et outils…

Certes, il serait plus qu’avisé de faire en sorte qu’ils ne soient pas des freins au bon fonctionnement des équipes. S’ils le sont, il est de son devoir de travailler à ce sujet. Cependant, les ignorer sous le prétexte qu’il est agile n’est pas une bonne idée. Cela pourrait mettre en péril les individus, leur carrière, leur image au sein de l’entreprise…

De plus, si l’équipe n’est pas elle même objectivée à respecter les processus et outils cohérents et utiles, elle peut se retrouver dans une situation que j’ai déjà rencontrée plusieurs fois: avoir accompli un travail de grande valeur pour un client donné, mais complètement décorrelé de la réalité des autres potentiels clients (trop spécifique) ou totalement en dehors de la vision du SI de l’entreprise (in-maintenable sur le long terme, pas en ligne avec la sécurité globale…)

Alors certes, dans ce cas il pourrait en être de la responsabilité du PO… mais lui aussi a sans doute un manager qui se dit peut-être agile… et quand bien même, ne sommes nous tous pas des rouages de la même machine à créer de la valeur???

Un mauvais manager reste un mauvais manager

J’ai malheureusement aussi rencontré des managers qui utilisaient le fait d’avoir suivi une formation de manager agile, pour masquer le fait qu’ils n’étaient pas de bons managers.

Un manager qui ne sait que s’occuper de process, de projets, qui n’a pas la fibre humaine, n’en deviendra pas un meilleur manager suite à une formation de manager agile.

C’est quoi la différence entre un bon manager et un mauvais manager? Je pourrais répondre en paraphrasant les « Inconnus » sur le sujet, mais je préfère vous soumettre une proposition: demandez aux équipes.

Si l’équipe vous dit que son manager la protège, qu’elle est au courant de ce qui se passe, qu’elle a le niveau de délégation auquel elle s’attend… bref, si elle vous indique qu’elle est bien managée, il y a de grandes chances qu’elle ait un bon manager agile.

Dans tous les cas, les managers méritent aussi d’être accompagnés. Parfois simplement afin qu’ils se rendent compte de leurs limites en terme de management, parfois afin de devenir de meilleurs managers agiles…

Conclusion

J’entends régulièrement les équipes dire qu’elles peuvent se passer de manager. Je trouve ca dommage. Personnellement, j’ai choisi de travailler dans une organisation avec une hiérarchie existante, de ne pas être mon propre patron. Tout projet a besoin de leaders, parfois nous en faisons partie, parfois nous les suivons. De par nature, l’animal humain a besoin de leadership. Le fait que des personnes me disent que leur management ne leur amène pas cela, me semble profondément triste et montre qu’à la moindre occasion ils n’hésiterons pas à partir pour d’autres aventures…

Pour en revenir au postulat de départ… la réponse n’est pas simple, cependant, oui, je pense qu’un mauvais manager agile peut rendre le management de manière générale, fragile. Plus qu’avant, les équipes sont en attentes de certaines choses de la part de leurs managers agiles, et une perte de confiance en celui-ci peut avoir un impact important sur la vision du management au sens large.

Un commentaire

  1. C’est bien vu de développer ces 2 aspects délégation/abandon et communication/transparence.
    C’est très pertinent et ça replace bien le positionnement attendu du manager agile.

    Sur la délégation, j’aime bien le principe « on délègue le pouvoir, pas l’autorité » qui confirme bien que c’est le responsable qui continue de « répondre de… »

    Et sur la communication, j’aime penser que c’est bien au manager de s’assurer de la bonne diffusion à la fois des infos opérationnelles (celles dont l’équipe a besoin) et des infos contextuelles (celles qui garde l’équipe en veille sur ce qui bouge dans l’environnement extérieur et sur les impacts possibles sur l’activité)

    Après la vraie question – à laquelle tu ne réponds pas – est la suivante:

    Les attendus d’un manager agile ne sont-ils pas les mêmes que ceux de tout manager?!?!

    Au plaisir de lire la suite… 😉

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