Comme beaucoup, depuis le début de la crise COVID, je suis confronté à des questions sur la manière de faire mes interventions (accompagnement, formation…). J’ai évoqué mon sentiment quant au retour sur site dans mon précédent billet (De l’ambivalence d’une reprise en présentiel), je me propose maintenant de regarder à l’autre côté de la pièce: les interventions à distance pour un coach.
J’ai eu la chance de pouvoir conserver, durant la période confinée, une partie de mon activité à distance. Comme tous les coachs, il m’a fallu m’adapter à cet accompagnement. Dans certains cas ça marche, dans d’autres, ça marche pas…
J’ai aussi eu à adapter une formation en mode remote.
Je me suis alors lancé dans un exercice compliqué de modification du contenu afin que tous les sujets abordés en présentiel le soient aussi en distanciel, sans pour autant perdre de l’intensité. Au regard des retours suite à cette formation, même si dans l’ensemble les participants étaient satisfaits, il semble qu’ils considèrent que l’expérience a été dégradée plus que différente.
Et c’est sur ce point que je voudrais m’attarder. Comment faire en sorte que, malgré les contraintes actuelles, nous proposions non pas des expériences diminuées mais des expériences augmentées?
Par exemple, la plupart des serious games que je connais et affectionne, ont été créés avec comme principe d’avoir les personnes dans les mêmes lieux: pouvoir les séparer si nécessaire mais surtout pouvoir leur faire vivre, autant physiquement que mentalement, le jeu, pour ensuite les regrouper pour faire un debrief.
Lorsque nous sommes en visio, nous ajoutons non seulement un filtre, mais si nous essayons de reproduire au mieux l’expérience que nous connaissons en visu, il me semble que nous prenons un gros risque de perte en qualité. C’est pourquoi je pense qu’il nous faut revisiter nos outils.
Ce n’est pas évident de retourner à la planche à dessin quand on maîtrise un outil. Certes, nous l’avons assez facilement fait sur la rétrospective agile, car nous avions l’habitude, normalement, de changer régulièrement de format. Le fait de se donner une contrainte « remote » sur celle-ci, nous a principalement contraint à devoir trouver un bon outil pour remplacer le tableau blanc physique. De premier abord, nous avons juste fait en distanciel la même chose que nous faisions en présentiel. Oui mais, sans parfois nous en rendre compte, il nous a également fallu modifier notre manière d’animer cette rétrospective. En effet, ce n’est pas une nouveauté, mais lorsqu’on a pas les personnes en face, il est, par exemple, primordial pour l’animateur de valider que tout le monde peut s’exprimer et le fait. Avouons-le, ce n’est pas le plus facile, surtout si nous n’avons pas les visages des personnes mais juste les voix, de s’assurer que chaque personne présente au bout du fil a pu le faire, ou tout simplement que chacun est attentif.
Bref, depuis quelques temps je réfléchis beaucoup à cette notion d’expérience dégradée VS expérience différente. D’autres avant moi se sont penchés sur le sujet, et s’y penche encore (j’aurais d’ailleurs la chance de pouvoir participer prochainement à un meetup autour de l’apport du présentiel dans la formation à distance), et je pense que chacun à notre niveau nous pouvons nous assurer que nous partons dans la bonne direction.
Parfois, nous n’avons pas le temps de proposer une expérience différente, et donc l’expérience dégradée, si acceptée à l’avance par les participants est la seule option. Dans le cadre sanitaire actuel, on serait tenté de se dire que de toute façon les contraintes liées au protocoles vont nous obliger à diminuer l’apport. Je n’en suis pas sur… Dans tous les cas, lorsque nous avons le temps de nous y pencher, comment avancer vers le “différent” plutôt que le “dégradé”?
De mon point de vue, il n’y a pas vraiment de secret, et tout revient vers la valeur que nous souhaitons et pouvons créer.
Avant tout il faut s’accorder sur notre notion de valeur:
-Quelle est elle pour notre intervention, notre projet, notre produit?
-Quelles sont les dépendances entre nos différentes valeurs ? Pouvons-nous, par exemple, nous permettre de créer de la valeur financière en mettant de côté notre engagement sociétal ?…
Pour entrer un peu plus dans le concret, lors de mes réflexions autour des interventions en remote, je suis tombé sur un bon nombre de serious games porté en digital. Malheureusement j’ai rapidement eu l’impression que pour beaucoup d’entre eux, l’aspect digitalisation pure et dure l’avait emporté sur l’aspect création d’une expérience complémentaire (différente, augmentée…).
Avec le GAG, nous avons alors décidé de travailler à un portage remote (plutôt que digital) d’un de nos outils. Ce portage sera bientôt achevé. Et nous avons alors saisi l’opportunité pour, non pas considérer le remote comme une contrainte, mais comme une nouvelle manière de créer de la valeur. L’outil existait, mais nous l’avons réinventé afin d’en faire un nouveau produit.
Nous avons eu la chance de pouvoir intégrer à notre réflexion un expert de l’UX/UI et cela nous a facilité l’approche expérience utilisateur. Et c’est là toute la force de ce retour à la valeur: lorsque nous rencontrons une nouvelle contrainte forte, retournons à la planche à dessins, voyons dans quelle mesure ce nouvel élément de l’environnement peut nous permettre de revoir notre vision de notre produit.
Nous le faisons très bien au lancement de nos initiatives agiles, nous faisons régulièrement des ateliers d’idéation, d’expérience mapping, de co-design… Il me paraît important de considérer ces apparitions de nouvelles contraintes comme de potentiels déclencheurs de ce type d’atelier et de re-découverte de notre produit et de son environnement.
Cette idée de considérer une contrainte comme une opportunité d’augmenter notre création n’est pas inhérente au travail du coach, ni même aux projets de création de produit. En effet, je discutais récemment avec une amie productrice de concerts, et elle me rappelait que la situation du monde de la culture, et surtout de l’événementiel, est très préoccupante. Dans la discussion, nous avons abordé les différentes possibilités qui s’offrent à elle (et à sa société). Et rapidement nous en sommes arrivés à cette notion dégradé VS différente. Les contraintes actuelles font que les concerts sont très difficiles à produire et organiser, mais est-ce le seul moyen qu’ils ont pour produire de la valeur?
Que cherchent les personnes qui vont au concert? Que peut proposer une société événementielle qui soit différent mais qui soit dans le respect des règles sanitaires?
J’avoue que ces questions sont encore en cours de discussion… c’est passionnant et j’espère pouvoir en ré-échanger avec elle.
J’en reviens au fait que, de manière générale, et même hors contexte COVID, lorsque nous rencontrons des contraintes, nous allons, je pense, assez naturellement vers une dégradation de l’expérience en vue de répondre à ces contraintes plutôt qu’à une différenciation du vécu proposé aux utilisateurs. En revenant, toujours et encore, sur la question de valeur, en se posant la question « OK nous avons de nouvelles contraintes, mais nous apportent-elles des opportunités de création de nouvelle(s) valeur(s)? », je pense que nous devrions acquérir des réflexes qui nous permettrons de nous différencier.
Attention, je ne parle pas de se différencier juste pour être différent (j’ai testé dans mon adolescence…), mais bien de proposer une expérience qui soit autre que dégradée, qui soit en quelque sorte augmentée.
Ca ne sera pas toujours facile, et nous allons nous tromper. Mais l’échec fait partie de notre apprentissage! Nous réussirons à produire de la nouvelle valeur. Et, qui sait, peut-être aurons-nous, dans quelques temps, plus d’attrait pour le distanciel via cette expérience augmentée que pour le présentiel…
Merci Marion Chupin et Marie Hélène Laigle pour la relecture